Maintenant que la poussière est retombée, quels constats tirer des étonnants résultats des subventions pluriannuelles du CALQ ? Portrait réel d’une crise évitable.
UNE RÉPONSE ÉTONNANTE
Au Québec, le financement des arts touche à quelque chose du divin. Malgré tous les efforts qu’on peut mettre dans une demande de financement, son acceptation dépend essentiellement d’une cosmogonie de politiciens qui rationnent fonctionnaires et jurys de pairs avec un budget qu’ils ont l’odieux de séparer selon la vision sociale du gouvernement en place. Ceci est d’autant plus vrai dans la période du financement quadriennal, où la survie de compagnies et d’institutions est en jeu.
Ainsi, à la lecture des résultats du Soutien à la mission 2024-2028 du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), chacun a pu voir si son chapelet a interpellé les bons saints. À l’image d’un horoscope, ces réponses marquent en chiffres ce que les prochaines années peuvent présager en termes de parts de marchés culturelles, de priorités gouvernementales et de changements de dynamiques sectorielles. Si CAPAS tient à souligner le travail titanesque de chaque organisme ayant sollicité ce soutien et celui des évaluateurs qui ont évalué chaque demande, il importe de regarder les montants remis – souvent insuffisants – et y lire la réalité : l’union ferait la force (nous expliquerons le conditionnel plus loin).
PÉRIL EN LA DEMEURE : UN FINANCEMENT INADAPTÉ AUX ENJEUX RÉELS
Comme nous l’avons relevé dans bon nombre de nos éditoriaux précédents, l’heure est à la pénurie de main d’œuvre en gestion et en technique, à l’augmentation des prix, à la compétition internationale et à la reconquête des publics rendus casaniers par la pandémie. Ces enjeux déposent un poids énorme sur la plupart des étapes de la chaîne culturelle, de l’artiste au programmateur en passant par le distributeur et l’association professionnelle. Devant ces défis, la bonne stratégie serait de rendre le secteur plus attractif (avec des meilleures conditions salariales et humaines pour retenir la main-d’œuvre et en mobiliser une nouvelle) et plus compétitif (avec des budgets promotionnels qui rivalisent avec ceux des Netflix et Amazon de ce monde). Mais nous savons bien que ces prophéties sont infertiles, puisque la croissance de l’enveloppe dédiée à la culture québécoise suit une courbe trop lente depuis plusieurs décennies.
L’autre option – alignée avec les capacités financières actuelles du CALQ – serait de répartir le financement de manière à répondre à ces enjeux endémiques autant d’un point de vue réactif que proactif à l’échelle du secteur culturel. C’est d’ailleurs ce qui était attendu par plusieurs institutions, souhaitant bénéficier d’une augmentation suffisante pour embaucher de nouvelles ressources ou voir leur organisme de service être outillé pour les soutenir dans leurs tâches. Mais les financements octroyés ne reflètent pas ces préoccupations. De fait, que des organes administratifs et communicationnels comme CAPAS ou LORGANISME n’aient pas été appuyés – alors qu’ils accompagnent ensemble plus d’une quarantaine d’artistes et compagnies (dont plusieurs ont vu leur financement pluriannuel renouvelé grâce au travail de leurs équipes) – démontre qu’il existe un fossé entre la mutualisation des ressources souhaitées par le secteur et sa mise en œuvre réelle. Soyons transparents : nous prendre en exemple cherche assurément à mettre notre propre cause de l’avant. Mais à une époque où de plus en plus d’institutions – toutes disciplines confondues – se retournent vers des sous-traitants culturels pour leur permettre de dégager temps, argent et énergie à remplir leur mission, nous sommes d’avis que notre situation (et celle de nos compétiteurs, s’ils souhaitent la partager) détient une part pertinente de la vérité.
POUR UN TRAMWAY CULTUREL : LES LIMITES DE LA MUTUALISATION
Parce qu’il faut rappeler que les organismes de service sont une résultante de la pression mise par les conseils sur les disciplines afin de les pousser à mutualiser leurs ressources. Depuis 10 ans, et grâce notamment au soutien moral et économique des bailleurs de fonds, le milieu a pondu une initiative après l’autre pour s’échanger ses employés, ses connaissances, voire ses biens et services afin d’alléger le poids financier de leurs activités. Les organismes de services et de soutien à la production sont devenus des carrefours facilitant ces échanges à coût réduit et trouvant des solutions communes qui bénéficient à tout un chacun. La danse en compte d’ailleurs plus que toute autre discipline, ce qui démontre son sous-financement chronique : à défaut d’avoir les moyens de ses ambitions, notre milieu s’est soudé pour essayer de toutes les façons possible de faire de chaque sous reçu une chance de créer, de rayonner, d’exister dans le paysage québécois et mondial. Mais nous voilà en 2024, et les efforts ne semblent pas récompensés : avec une augmentation du financement culturel sous le seuil de l’inflation – et donc moins d’argent en valeur absolue –, la solution miracle que devaient être les organismes de service s’épuise, se retrouvant à souffrir du même manque de financement qu’elle devait – selon les conseils – aider à enrayer.
Avec si peu de fonds et si peu d’organismes appuyés, une question surgit : comment continuer à mutualiser ? Que reste-t-il à mettre en commun quand les fonds ne suivent pas les ambitions ? Quand tout ce qui pouvait être mutualisé avec les fonds disponibles l’a été – les bases de données, les communications, les ressources humaines, les stratégies, les locaux, les expertises, les comptes en ligne –, que reste-t-il à faire ? Peut-on réellement continuer à s’entraider sans perdre pied alors que le rationnement constant effrite le sol sous nos pieds ? Lorsque trois compagnies se partagent une comptable à temps partiel, qu’un même Google Drive abrite les archives de trois institutions différentes, qu’un seul bureau héberge quatre organismes sans avoir assez de chaises pour asseoir tous les employés, quand une campagne de promotion rassemble tellement de joueurs qu’elle en perd son message, que reste-t-il à couper ?
L’union « ferait » la force, c’est indéniable si elle était soutenue par les conseils. À défaut de quoi elle devient une machine de plus en plus surchauffée, dont les rouages bâtis sur plus d’une décennie menacent de bloquer et d’entraîner tout le secteur dans un ralentissement prolongé. Nous ne proposons pas de construire un troisième lien au cas où les deux premiers s’écroulent : nous proposons d’assurer la viabilité du réseau structurant qui allège le fardeau sur les charpentes existantes et permet à tout le monde d’avancer dans un même chemin. Finançons mieux les autobus de la culture, les métros de la danse, du théâtre, de la musique, de la littérature et des arts visuels qui permettent à plus d’artistes d’atteindre leurs buts, propulsés par des organismes porteurs qui embarquent vers l’avenir plusieurs compagnies d’un coup. À défaut d’intéresser le gouvernement avec une telle rhétorique, peut-être susciterons-nous l’appui de la Caisse de dépôt ? Blagues à part, le milieu voit le bout de ce qu’elle peut faire en s’appuyant les uns sur les autres sans fondations financièrement viables. Si l’argent n’est pas la solution, nous attendrons les alternatives – et surtout les actions – des conseils.
CONCLUSION : TRUQUER LES DÉS EN NOTRE FAVEUR
La valeur sociale et économique de la culture n’est plus à démontrer, mais s’assurer que cette valeur reste bien en tête de nos décideurs est un combat de chaque instant. Et au-delà d’un meilleur financement, ce qu’il faut réclamer est une répartition plus stratégique de l’argent dédié, qui fait preuve d’une réelle compréhension terrain des espoirs et des craintes face aux changements rapides du monde d’aujourd’hui. Pour ce faire, il faut que les efforts de mise en commun réalisés jusqu’à maintenant soient encouragés, pérennisés et solidifiés afin de montrer que les appels à l’union des conseils ne sont pas simplement qu’une manière de se décharger de l’avenir des arts sur ses professionnels. Nous prions pour qu'un jour la puissance de nos rêves tissés serrés soit alors suffisante pour arrêter de mendier et trouver des oreilles réellement attentives à nos requêtes claires, à nos impératifs inévitables. La culture mérite plus que du divin : elle a besoin d’une touche cohérente, conséquente, bienveillante, généreuse. Humaine, en somme.