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Que la fête (re)commence !

Fut un temps, « spectacle » et « événement » étaient des synonymes. Maintenant, comment faire d’une représentation une expérience mémorable qui rameute les foules ?



Qui n’est jamais sorti d’un spectacle avec l’impression que sa vie a changé ? Ce geste, cette phrase, cette image qui s’imprime plus profondément dans l’âme. Cette scène qui a l’air d’avoir été créée juste pour nous. Ce silence qui répond à une question qu’on n’a jamais mis en mots. L’art a ce pouvoir éternel de nous toucher et – quand les ingrédients sont là – de nous marquer à jamais. Mais sa profusion, comme pour toute chose, a mené à une forme de désensibilisation. À voir une dizaine de spectacles en une année, la magie de chacun se trouve diluée dans la masse, alors que nous sommes de plus en plus alertes à ce qui nous rejoint ou non, de plus en plus conscients des codes qui façonnent l’émotion. Ne vous méprenez pas : CAPAS reste convaincu que plus on voit d’œuvres, plus notre sensibilité s'aiguise, plus notre sens critique se déploie et, ultimement, plus on grandit comme humain. Mais comment retrouver cette euphorie, cet émoi presque tactile dans l’offre qui pullule dans notre monde effréné ?


Pour de plus en plus d’institutions culturelles, la solution se trouve dans une extension de l’émotion au-delà de la performance, en ajoutant une soirée festive après (ou parfois avant) la représentation. Les spectateurs, encore habités par l’œuvre qu’ils ont vu, peuvent prolonger leur expérience avec musique, bar et rencontres dans une ambiance réfléchie pour épouser les sensations vécues dans la salle de spectacle. Festivals d’arts vivants et programmateurs deviennent alors plus que des présentateurs de spectacles; ils sont des lieux où se laisser envahir par l’émotion est célébré. La danse est d’ailleurs une discipline particulièrement propice à ce genre de propositions, amenant le public à laisser leurs mouvements s’exprimer en réponse aux gestes des interprètes qui l’ont ému quelques instants plus tôt. Si ces événements festifs post-représentations ont certes pour objectif marketing de rejoindre un public plus jeune et de l’inviter à consommer davantage sur place, ils émanent d’un souhait réel de redéfinir ce qu’on entend par « assister à un spectacle ». Et surtout, retrouver ce sentiment d’avoir « vécu un événement ».



Vivre l’art au-delà de la passivité

Parce que les attentes du public ont évolué au cours des dernières années. Les spectateurs d’aujourd’hui – devant une panoplie de choix physiques et virtuels, locaux et internationaux – sont bombardés de culture et demandent aux programmateurs de les amener toujours vers un nouveau je-ne-sais-quoi. Maintenant habitué au confort de sa maison et aux options culturelles qu’on lui propose, le public a besoin d'incitatifs supplémentaires pour sortir de chez lui. Les prolongations éclatantes proposées par certaines institutions (soirée dansante, DJ set) permettent de sortir des paramètres convenus du spectacle pour donner davantage d’espace à l’expérientiel – et ce – en compagnie d’individus ayant des affinités culturelles avec soi. Le spectacle devient ainsi un feu qu’on continue de nourrir d’interactions sociales et de moments festifs pour en décupler la puissance artistique. Tout un chacun transforme alors sa contemplation passive en catharsis active, collective. Si le milieu des arts vivants ne pourra jamais compétitionner avec les productions télévisuelles et les jeux vidéo à gros budgets, ces derniers ne se compareront jamais à la qualité d’un instant de pure connexion humaine.


Déploiement artistique et développement des publics : les réussites européennes

Le Kunstenfestivaldesarts de Bruxelles, la Biennale de la danse de Lyon et Chaillot Théâtre à Paris ont chacun mis en place des soirées en marge de représentations-clés afin de transformer le spectacle en expérience immersive et dynamique. Ces événements servent autant la vocation artistique que le besoin de fidéliser de nouveaux spectateurs.


Ainsi, les artistes sollicités pour créer ces prolongations (s’ils ne les ont pas déjà proposées eux-mêmes) y gagnent, laissant leur inspiration déborder de la scène pour s’étendre dans le hall, le bar, le parc adjacent ou le QG de ces institutions. Les chorégraphes sont ainsi amenés à réfléchir leur démarche au contact de situations de danse dans la vie quotidienne : le club, le cours récréatif, le mariage, la célébration et l’exutoire. S’ils participent à l’événement qu’ils sont invités à construire, les artistes plongent alors le public dans une médiation culturelle qui prend des airs de fête, où ils approfondissent leur compréhension de l’œuvre en l’intégrant dans leur corps. Le transfert du ressenti du spectacle et de sa place dans la vie sociale prend alors tout son sens.


De plus, en empruntant aux codes de la boîte de nuit, ces événements peuvent également servir d’outil de démarchage afin de rejoindre un public plus jeune. Plusieurs disciplines en art vivant – la danse en particulier – portent une étiquette d’élitisme et d’hermétisme qui les rendent rébarbatives pour les 18-35 ans qui n’ont pas toujours les expériences de spectateurs nécessaires pour apprécier les œuvres, préférant les éviter. Attirer les nouveaux spectateurs avec des événements dansants dont ils connaissent les tenants et aboutissants peut favoriser l’adhésion aux propositions artistiques, les inciter à acheter un billet et à inviter leurs cercles à les accompagner.


Exemple québécois : JOAT en tournée

Cette pratique n’est pas étrangère aux programmations québécoises, qui présentent souvent des expositions ou des documentaires en marge des représentations. Mais le concept de soirée dansante comme une extension d’un spectacle est plus rare… sauf pour le JOAT. Festival de street dance montréalais depuis 2016, ce rendez-vous estival accompagne ses battles de danse et autres prestations énergiques d’un Block Party, où publics et artistes se mélangent pour danser au rythme de hits hip hop, électro et R&B emblématiques. Reprenant l’essence des spectacles et de la philosophie du festival pour en faire une rencontre électrisante, ces clubs à ciel ouvert sont devenus l’un de ses moments forts. C’est donc sans surprise que leur première œuvre qui circulera au Québec cet automne – JOAT en tournée – déploiera également ces Block Parties avant ou après les représentations. L’engouement pour l’occurrence au Grand Théâtre de Québec se fait d’ailleurs bien sentir, et CAPAS suivra avec attention comment la tournée prévue dans 14 villes du Québec profite de ces soirées où professionnels et amateurs se retrouvent dans le plaisir de danser.



Conclusion : Laisser l’art déborder

Ce qui ressort de ces hybridations entre performances artistiques et manifestations de l’art vivant dans le quotidien, c’est le courage de ces artistes et programmateurs de s’unir pour essayer. Essayer de sortir des formats conventionnels pour garder le secteur proactif et pertinent. Essayer d’embrasser les contradictions entre l’art et le marketing, le spectacle et la vie quotidienne, et faire de ces oppositions un levier pour aller plus loin autant dans la création que dans la fidélisation. Essayer de mettre les artistes dans le coup des activités de démarchage pour qu’elles reflètent au mieux les intentions artistiques d’aujourd’hui. Ce ne sont pas toutes les œuvres qui se prêteront à la fête et au DJ set, mais celles qui réussissent à tenir cet équilibre entre le spectacle et la célébration sauront – nous l’avons vu en Europe – devenir un point de départ propice pour intéresser les publics aux arts vivants et plonger de plus en plus profondément dans ce qu’ils ont à offrir. Parce que parfois, pour que le geste s’imprime profondément dans l’âme, il faut le performer soi-même, dans l’urgence d’exprimer ce qu’un spectacle nous a murmuré à l’oreille. L’art a toujours été cette force qui brouille les frontières entre le réel et le rêve. En en faisant une expérience globale, nos institutions peuvent lui redonner cette pleine puissance qui sort des salles pour changer notre monde. On dit que Paris est une fête. Qu’en est-il de Sherbrooke, Rimouski, Sept-Îles et Gaspé ? Il n’en tient qu’à nous de célébrer plus loin.

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